En novembre, la presse a annoncé la fermeture des ateliers de fabrication des pianos
Pleyel à Paris. Il
s'agit des derniers ateliers français mais aussi européens, le marché du vieux continent qui a vu naître
Mozart, Chopin, Litzt et
Haydn ne fait plus face au chinois ni au coréen.
1757,
Ignaz Joseph Pleyel nait en Autriche où parrainé par le comte
Ladislas Erdödy, il beneficie de
l'apprentissage du piano auprès de
Haydn jusqu'à ses 15 ans. Déjà, une grande amitié lie les deux musiciens
qui se retrouveront des années plus tard. En 1784,
Pleyel a 27 ans et déjà son travail intrigue et des
admirateurs se dévoilent comme
Wolfgang Amadeus Mozart qui écrira cette année là : "il vient de paraître des
quatuors d'un certain Pleyel qui est un élève de Joseph Haydn. Si vous ne les connaissez pas encore, essayez
de les trouver, ils méritent toute notre attention" ou encore une lettre de Mozart qui confie à son père au
sujet de Pleyel : "C'est un bonheur pour la musique" .
A à peine 20 ans, Ignace Pleyel, est maitre de chapelle et à 30 ans, il part en Italie où le roi de Sicile lui fait une commande d'opéra en 1785, année où il va vivre à Strasbourg pour devenir l'assistant maitre de chapelle de François Xavier Richter. 1789, Richter
meurt et Pleyel le remplace quelques temps car la révolution française le pousse à fuir à Londres où il
retrouve Haydn. Ensemble ils assurent nombre de concerts dans la capitale anglaise de 1791 à 1792, parfois
l'un contre l'autre quand l'élève dépasse le maître en compagnie du compositeur Johann Salomon. Pleyel
revient en France, achète un château près de Strasbourg et craignant la Terreur, emprisonné et menacé, pour
sauver sa tête, il compose avec son ami Rouget De L'Isle des chants comme l'Hymne pour la liberté.
Salon de musique Pleyel, rue Rochechouart, Paris 1893 (Eugène Ysaÿe, le violoncelliste Joseph Jacob, MM. Crickboom et Van Hout et Claude Debussy assis au piano)
Ignace Pleyel, prolifique, réputé et respecté pour son talent de composition, signe après Temple de
l'Être Suprême, Le jugement de Paris, des opéras, des concertos pour clarinette, violon et violoncelle, une
pléthore de compositions de musique de chambre, plus de 40 symphonies, avec une technique particulière qui
attire l'attention. En 1794, il s'installe à Paris avec femme et enfants, y monte son premier commerce de
vente de partitions et une maison d'édition. Dans ce domaine, il sera précurseur en étant le premier à
éditer les partitions en format de poche. Depuis 1797, la maison d'édition Pleyel qui fait paraitre à ses
débuts les oeuvres de Haydn et de Beethoven, publiera plus de 4 000 compositions.
C'est en 1802 qu'il peaufine son premier piano qui a la particularité d'avoir les cordes frappées par un
marteau et non plus pincées et dépose ce brevet en 1807. Avec la collaboration de Charles Hemme, la
Manufacture des pianos Pleyel ouvre ses portes en 1809. Il y en aura des adeptes de l'instrument Pleyel à la
mécanique légère, sensible au toucher avec des touches lourdes qui rendent les notes élastiques et
aériennes, comme Saint Saens, Debussy, Liszt, et surtout Chopin. Ce dernier est un fidèle de l'écurie Pleyel et
tombant amoureux de l'élègance et la grâce du piano Pleyel s'écrira :"Les pianos de Pleyel sont non plus
ultra". Plus tard Chopin, devenu intime, ami fidèle, s'investira dans la Société Ignace Pleyel & Compagnie
fondée par son fils Camille Pleyel en 1829. Camille s'associe en 1830 à Kalkbrenner, compositeur ami de
Chopin et professeur de piano de Marie Pleyel et du compositeur-chef d'orchestre Charles Hallé, pour lancer
une fabrique de nouveaux pianos.
En 1820 on compte une trentaine de fabricants de piano en France, qui souvent ouvrent leur salon et salle de
musique comme le fameux et resplendissant Salon de musique Pleyel à cette époque, qui se trouve rue Cadet à
Paris où Frederic Chopin donne son premier concert en 1832 et son dernier concert en 1848. Près de Blanche, Marcadet et Rochechouart, la
fabrique de pianos Pleyel en 1830 fait vivre plus de 200 ouvriers (900 ouvriers en 1890) et le complexe
énorme aux affaires florissantes qui comprend une scierie gigantesque, une multitude d'ateliers, offrira
également rue Rochechouart la deuxième plus grande salle de concert au monde de 550 places. Une plus modeste
sera ouverte également au siège Pleyel rue Richelieu jusqu'à ce que celle du Faubourg Saint-Honoré, toujours
en place, ouvre ses portes. La Salle Pleyel inaugurée en 1927, dont le sol et les murs sont art-déco, a accueilli le jeune Camille Saint-Saëns âgé de 11 ans pour son
premier concert, Cortot, Debussy, Liszt, Rubinstein, Hiller, Stravinsky est devenu en 90 ans un haut lieu
musical international que les artistes contemporains venant du classique ou du rock admirent.
Ignace Pleyel mort en 1831, avant-gardiste brillant, invente une sonorité en créant le cadre métallique
ou introduit le piano droit en France et son fils Camille aussi compositeur et pianiste continue la même
aventure en créant de nouveaux pianos aux allures romantiques dont les marteaux effleurent délicatement les
cordes. En deux siècles, 250 000 pianos Pleyel ont été fabriqués et vendus. Quand dans les années 2000, le
propriétaire de la salle Pleyel décide de regrouper les désormais 3 seuls fabricants français de
pianos, Erard, Gaveau et Pleyel à Alès, c'est pour que cette Manufacture
des pianos français d'Alès annonce en 2007 la fermeture de ses ateliers. Regroupés dès lors à la fabrique
Pleyel de Saint-Denis bâtie en 1865, tout fermera à la fin de l'année sans que les investisseurs publics ou privés y prêtent la moindre attention. Tout ceci est bien voilé et bien bouché. L'indifférence ne coûte pas cher,
heureusement il reste toujours les burgers à engouffrer devant les matchs de foot. Mais en 2014, c'est Pleyel qui ne jouera plus.
Patrick Watson à la Salle Pleyel